« C’est en effet un exercice insupportable que de devoir caricaturer ce que je pense être le monde minéral le plus absorbant qu’il m’ait été de pratiquer... parce que beaucoup de mes réalisations relèvent d’une émotion passionnelle.
Si j’évoque la rive gauche du Verdon, c’est pour y avoir apprivoisé ma vision d’une escalade qui ne se consomme pas, ni ne se met en vitrine. Cette approche tient à ma rencontre en ces lieux de personnages des plus méritants. Ils sont Christophe Louis, Bruno Clément et Antonin Rhodes, des rencontres éphémères, mais à l’estime tenace. Ils sont de ces rares ouvreurs que la logique d'un tracé naturel motive, quel qu'en soit la simplicité, l'audace ou le niveau technique. Qu’importe la cotation, dès lors qu’une ligne s’impose par son évidence.
Au fil des différents spots de cette rive, je découvre la qualité de lignes visionnaires, qui me rendent à chaque fois encore plus affamée de grimpe. Rien n’égale les dévers insensés de La Ramirole nous éloignant toujours plus de la planète. Rien n’égale la chevauchée fantastique de Tom‑et‑je‑ris. Rien n’égale l’excroissance aberrante d’Hulkosaure perdue au milieu d’un mur sans aspérité. Trois aberrations géologiques, parmi une dizaine d’autres toutes aussi remarquables, accrochées à un cadre aussi époustouflant. Une invitation au voyage.
Le site de La Ramirole, véritable océan minéral, est pour moi l'un des plus exceptionnels, sauvages et renversants. Une infinité de coulées et colonnettes, portent des lignes naturelles et respectées par les ouvertures. Je découvre ce spot avec Martina Cufar dans Papy qué dévers (8a) idéal pour apprivoiser le lieu. Mais c’est avec Kévin Aglaé que j’effectue LE voyage dans la voie du même nom, La Ramirole.
Ayant déjà savouré, à vue, les deux premières longueurs, en 8a+/b et 8a, c’est dans la troisième en 8b, sous l’assurance de Kevin, que j’aiguise mes sens. Section après section, je m'applique, me concentre, autant pour gagner ma longueur, que pour échapper à la distraction d’une météo qui s’emballe. J'aligne le premier mur, puis la rampe oblique assez sereinement. Le dévers est maximum et l'impression de gaz est totale, sidérante. Plus je me dégage latéralement à la gauche du relais, plus la position de Kev m'apparait relever d'une suspension effrayante au‑dessus du néant. Dix mètres sous le 3e relais, je commence à me faire déstabiliser par des rafales plus fortes. Cela me demande une concentration importante pour ne pas déraisonner et céder à des gestuelles précipitées, tant par envie de m'extraire des assauts du ventilateur, que de m’apaiser vers un relais protecteur.
Dans cette ambiance dantesque, chahutée par le vent et picotée par le froid, je suis imprégnée d’une conscience rare en venant à bout de cette longueur absolument mythique par sa technicité et la situation funambulesque qu'elle engage. Je savoure le trouble de ces quelques instants, et prends le temps de remettre mes pensées dans le bon ordre, pour qu’il ne m’en échappe aucune et qu’elles m’imprègnent d’un souvenir inoubliable.
Ce passage d’émotions, légitimes et naturelles, rejoint les monuments hors normes qu'il m'intéresse de visiter. Par cette nature de grimpe, je me sens très privilégiée, rejoignant en cela mes copines Martina Cufar, Florence Pinet et Nina Caprez, contribuant ainsi à la mesure possible d'une pratique au féminin, faite de belles audaces et déterminations de filles. »