Marion Poitevin
Membre de l’ENAF 2006/2009 et guide de Haute Montagne.
« Je suis rentrée à l'ENAF en 2006. Mon copain de l'époque, membre de l'ENAM, m'a encouragé à postuler. En dépit de ma peur de ne pas être à la hauteur, je me suis lancée, et j’ai été prise. Je me suis retrouvée dans l'équipe avec Camille Audibert, Sara Berthellot, Aurélie Castellana, Marine Clarys, Fanny Devillaz, Fleur Fouque et Karine Ruby.
Ce furent deux années fortes en émotions et en opportunités. Après le 1er stage en escalade artificielle, Camille Audibert a eu un accident grave en gym, elle est aujourd'hui hémiplégique. C'était une superbe grimpeuse de 20 ans, un coup dur pour l'équipe. Aujourd'hui elle grimpe, marche, joue de la musique et se reconstruit avec détermination.
Ensuite nous avons eu un stage de cascade de glace et alpinisme hivernal, dont nous sommes sorties très frustrées. En effet, nous avions une équipe d'un niveau technique très impressionnant : Karine et Sara étaient déjà aspirant guides. Fanny et moi nous étions BE escalade et Marine préparaient le diplôme. Aurélie étaient AMM (accompagnatrice moyenne montagne) et pisteur. Bref, de quoi faire quelques envieux. Pourtant, nous avons trouvé que nos encadrants n'étaient pas ambitieux dans le choix des voies. Nous avions l'impression qu'ils ne nous faisaient pas confiance, qu'ils avaient peur. Pas de quoi nous encourager à pousser nos limites et progresser, ce qui posait la question de la création de cette équipe…
Ensuite, nous sommes parties en expédition au Pakistan en 2008, sans Aurélie qui s'était blessée à la cheville. L'objectif était très aléatoire à cause des conditions météo de la région et en haute altitude. Nous avons tout de même réalisé un petit sommet à côté à 5200m, c'était une belle expérience alpine et culturelle car nous étions quatre blondes et deux brunes dans un pays très musulman qu'est le Pakistan. A ce moment, le Pakistan était très calme et le voyage s'est déroulé sans aucun problème.
Grâce à cette équipe, j’ai pu m'installer à Chamonix et finir ma liste de courses pour aller au probatoire de l'aspirant guide. Puis, le GMHM (Groupe Militaire de Haute Montagne), intrigué par toutes ces femmes en montagne, a vu là une opportunité d'améliorer sa communication et se diversifier. J'ai été prise, et pendant trois ans, j'étais chasseur alpin et m'entraînais pour les expéditions en Himalaya, Canada, Antarctique. Un vrai succès, puisque le site du GMHM connu un pic de visites : ça intrigue de voir une femme dans ce groupe d'élite. Le commandant avait remarqué que les membres du groupe s'entrainaient plus (sûrement pour ne pas se faire doubler par une femme).
Aujourd'hui, Sara et moi avons fini le diplôme de guide (à noter que nous sommes 18 sur environ 1500 hommes). En tant que femmes guides, nous avons des opportunités de boulot parfois plus originales. Physiquement, c'est dur de tenir des saisons estivales entières, il faut faire preuve d'imagination. Bien sûr, certains guides pensent toujours que nous n'avons rien à faire là-haut avec des clients. Mais la plupart sont contents de voir que la profession se féminise doucement.
Enfin, l'ENAF fut surtout une belle aventure humaine de se retrouver entre femmes dans un milieu d'alpinistes masculins. Cela nous a permis de nous retrouver chacune, de retrouver cette féminité rongée dans ce milieu, féminité qui a pourtant toute sa place dans les montagnes ! Elle fut aussi une expérience douloureuse pour nous toutes, car elle nous a permis de rencontrer Karine Ruby dans son élément (plus celui des montagnes que du snowboard). Elle était notre amie, notre modèle, notre soutien, notre compagne de cordée et notre copine de soirées... Elle est décédée sur le glacier du Géant avec 2 clients le 29 mai 2009.»
Cécile Avezou
Championne d’escalade et élue
« En escalade on n’est pas pro, et si tu n’as pas de couverture sociale, que tu es une femme, et que tu tombes enceinte, et bien tu n’as pas grand-chose. On manque encore de reconnaissance à ce niveau, même si je suis bien consciente que ça a énormément évolué depuis des années. Après ma carrière sportive, je pensais me remettre au travail, reprendre mon poste d’entraîneur. Mais c’est vraiment très difficile de refaire sa place, quand on est athlète de haut niveau, les gens pensent qu’on est favorisé, et on ne nous fait pas de cadeau. J’ai la sensation de manquer d’appui pour la reconnaissance de mes compétences. »
Hélène Janicot
Championne d’escalade
« Personnellement, après mûre réflexion, je ne pense pas qu’il y ait de différence à être un homme ou une femme athlète de haut niveau dans cette fédération. Je ne me suis jamais sentie discriminée par le fait d'être une femme. Marianne Berger est la personne qui me fait appliquer mes séances, et je n’ai aucun souci avec le fait que cela soit une femme non plus : elle est particulièrement compétente et je trouve cela parfaitement normal. Par ailleurs, je n’ai jamais eu l’impression non plus que la fédération soutienne plus les hommes que les femmes, on est bien à la FFME ! »
Céline Sinet
Coprésidente du club Le Mur (Oloron Sainte-Marie).
« Dès ma prise de poste, j'étais dans appréhension de ne pas être légitime et reconnue en tant que femme auprès des anciens adhérents qui ont fondé le club et des grimpeurs, mais aussi en tant que jeune femme, de surcroît à la gestion et à la direction du club. Sans oublier les appréhensions par rapport aux institutionnels et politique. Il faut savoir faire reconnaître et entendre ses paroles dans les instances de décision et de discussion. Mais finalement, j'ai la sensation qu'il y a moins de rapports de force dans la gestion de conflits et dans les négociations avec moi: parfois même, je ressens plus de souplesse de la part des interlocuteurs masculins, et même une certaine collaboration avec les femmes, du moins une fois que j'ai pu faire mes preuves.
Aujourd'hui, je sens que ce poste m'apporte beaucoup, mais le plus dur reste le jonglage entre ma vie professionnelle déjà très prenante (je travaille en pédopsychiatrie 40h par semaine), vie associative et vie perso. Pourtant, s’épanouir dans les temps associatifs est indispensable. Pour ne pas que cela soit vécu comme une contrainte, il est important de se créer une équipe soudée et solidaire autour de soi. Je pense que pour la vie de famille, il faut garder des espaces préservés, s’offrir des bulles d’oxygène et savoir couper son téléphone ! Ça veut aussi dire apprendre à dire non. »