Voilà un champion qui ne se met pas (trop) la pression. De la résine, il faut pourtant en manger pour aller chercher la 2e place du classement général de la Coupe du monde de difficulté 2015. Mais il n'y a pas que la compétition dans la vie. Pas pour Gautier Supper en tout cas. Le champion français l'affirme : la falaise est tout aussi importante. Et elle lui sert surtout à se vider la tête. Pas à faire des croix, mais à retrouver le plaisir lorsque la vie n'est qu'entraînements sur le mur.
Ne croyez pas pour autant que se promener sur le rocher est une perte de temps pour un grimpeur de l'envergure du « Duc ». « C'est en falaise que je retrouve parfois les sensations pour lesquelles j'ai commencé ce sport tout jeune. Attention, j'aime profondément la compétition. Mais parfois, on en oublie un peu l'essentiel. Et il n'y a pas de meilleur endroit que Céüse pour me retrouver. »
L'escalade à partager
Gautier a dompté des tracés extrêmes sur ces falaises mythiques des Hautes-Alpes. « Dur limite », 8c par exemple. Mais il est catégorique sur ce point : ce ne sont pas les meilleurs souvenirs qu'il ait là-bas. « Un de mes meilleurs moments sur le rocher a eu lieu dans un 6c. J'étais avec des potes, on a grimpé une superbe voie ensemble. On a partagé un moment d'escalade. » Va essayer de te marrer dans un 8c ! « C'est ça la magie de Céüse, c'est aérien. C'est magnifique. Suspendu là-haut, on ne pense à rien d'autre. On vit des émotions d'une grande profondeur. Pas besoin de voie extrême pour ça. »
C'est d'ailleurs ici que Gautier Supper a fait connaissance avec l'escalade. « Enfant, j'étais au Club des Sports de Val d'Isère et ils nous ont emmené à Céüse. Cela reste dans mes souvenirs comme l'endroit où je suis tombé amoureux de la grimpe. »
Il n'a pourtant pas pour ces falaises mythiques un attachement d'ingénu : « Céüse, ça peut faire peur. C'est très aérien. Ici, tu peux te « mettre terreur » dans un 7c alors que tu grimpes normalement du 8c. Il y a de l'engagement, tu as intérêt d'être serein sur tes pieds », lâche humblement le grimpeur.
Céüse c'est Biographie, le premier 9a+. Mais pas seulement
Le lieu n'est pas élitiste pour autant. « Il y a aussi beaucoup de très beaux tracés tout à fait adaptés aux grimpeurs moins avancés. » Avec plus de 280 voies allant du 4 au 9b, Céüse c'est aussi un site très varié. Prenez le secteur Demi-lune par exemple : de nombreuses voies « faciles », 6a et 6b, y ont très bonne réputation.
On n'éludera pas pour autant les voies dures. Céüse c'est le rendez-vous du très haut niveau, avec notamment le secteur Biographie et sa voie homonyme, équipée par Jean-Christophe Lafaille en 1989 et réalisée pour la première fois par Chris Sharma en 2001 après 4 années de travail.
Une voie mythique à la dimension légendaire - le premier 9a+ de l'histoire - qui a mis à mal une autre légende – bien vivante celle-là - Adam Ondra. Le Tchèque s'en allait cueillir la croix en flash, mais finit par chuter dans le crux de la voie. Les deux répétitions suivantes ne furent pas plus concluantes et c'est seulement deux ans plus tard que le double champion du monde s'affranchira de la terrible Biographie.
Pourquoi toujours citer Ondra ? D'autres grands noms ont apposé leurs nobles patronymes aux tablettes du lieu sacré. Le grimpeur local, Sylvain Millet en 2004. Patxi Usobiaga (ESP) toujours en 2004, Dave Graham (USA) en 2007, Ethan Pringle (USA) la même année, Julian Ramon Puigblanque (ESP) en 2008, Enzo Oddo à seulement 15 ans en 2010, Alex Megos (GER) et Sachi Amma (JPN) en 2014. La voie devient la même année le 9a+ le plus répété au monde. Un mythe.
Mais un mythe auquel Gautier Supper ne s'est pas encore attaqué. Le grimpeur français le répète à loisir, la falaise pour lui ce n'est pas une question de croix. « Je suis déjà tombé dans un 7b à Céüse. Cet endroit a le don pour te faire garder les pieds sur terre (rires). Il y a surtout le paysage unique du lieu qui a lui seul vaut le coup de venir y grimper. La vue sur Gap est complètement folle ! »
Céüse, le jardin des légendes
Il y a bien une dimension que Gautier Supper mettra du temps à évoquer, mais qui semble fortement résonner en lui : Céüse, c'est le jardin de la première légende de l'escalade libre, Patrick Edlinger. Et même si le saint-patron de la verticalité avait choisi comme théâtre de sa notoriété les falaises du Verdon (Opéra Vertical) et de Buoux (La vie au bout des doigts), son auguste stature restera irrémédiablement associée au spot des Hautes-Alpes.
« Cela a une influence, c'est sûr. Grimper ici, c'est toucher du doigt cet immortel de l'escalade. Un de ceux qui ont fait notre sport. A chaque fois que je m'en vais grimper là-bas, je me fais cette réflexion : ces légendes, je les admire toujours autant. » Tant d'humilité qu'on en oublierait presque que l'on est en train de discuter avec l'un des tous meilleurs grimpeurs au monde.
