Quelles raisons t'ont poussée à tenter l'aventure du combiné ?
Charlotte Durif : Deux raisons ont défini ce choix : la réussite de Cécile Avezou engagée par deux fois dans la gestion des trois disciplines m’a tout d’abord beaucoup inspirée. D’autre part, ma détermination pour une expérience nouvelle fut mon moteur.
Ceci dit, ma motivation remonte à la saison 2013. J'avais fait une pause dans ma pratique compétitive, en ne participant pas à la fin de saison. Pourtant sur les quatre premières rencontres internationales, je décrochais quatre places en finale. J'avais déjà pour objectif de m’engager sur le combiné pour le championnat d'Europe, mais la sélection ne m’avait pas été accordée. Pour cette saison 2014, des critères de sélection ont vu le jour, faisant une première référence.
Quels étaient tes objectifs cette année ?
CD : Mon objectif prioritaire était, cette année, de monter sur le podium du championnat du monde du combiné. Cette perspective m’a imposé de nombreux sous-objectifs. J'ai d'abord dû satisfaire aux critères fédéraux pour gagner ma sélection, nécessitant de rentrer dans les finales des trois disciplines aux championnats de France et ce, dès le mois d'avril, à un moment où la préparation technique, physique et mentale n’a pas l’aboutissement nécessaire pour livrer tout le potentiel comme lors d'un championnat du monde.
Ce qui a dû impliquer de lourds changements dans ton entrainement ?
CD : J'ai en effet dû m’entraîner très spécifiquement dans les trois disciplines, selon un planning qui dépendait essentiellement de l'organisation des saisons nationales et internationales. Si je rajoute à cela mes contraintes personnelles liées au développement de ma thèse, j'ai vécu beaucoup de contraintes et d'insatisfactions. Bref, je n’ai fait que courir après le temps, courir après les moyens, passer du coq à l’âne en jonglant avec la discontinuité des filières énergétiques mise en œuvre par chacune des disciplines. Je me suis déplacée aux antipodes de mon lieu de travail et de résidence, passant d’un weekend à l’autre par Paris, Voiron, Massy, Toulouse, Nantes, Beyrède Jumet, Belcaire, et de nombreux autres lieux.
J’ai dû aussi créer et gérer mes sites et conditions d’entraînement sur Montpellier. Si des murs de difficulté référents existent, il m’a fallu trouver les ressources pertinentes et un lieu d’accueil pour établir une voie de vitesse et créer moi-même des blocs référents. Enfin, pour me dégager ces temps d’entraînement, j’ai multiplié les « 09h -19h non-stop » pour assurer les nécessités de mon travail de recherche lié à ma thèse.
Bref, sur l’ensemble de l’année, je me suis offert un après-midi à la plage et trois journées séparées de grimpe en falaise. Lorsqu’on connait ma passion pour le milieu naturel et l’épanouissement que m’apporte cette culture-là, on peut se demander si ce sacrifice fou vaut le détour par le combiné compte tenu des conditions de cet exercice… et ce, malgré l’obtention de ce titre de championne du monde.
Car au lendemain de l’Espagne et de cette médaille d’or, je n’ai toujours pas eu le temps d’apprécier ma réussite. De retour par la case boulot, je suis repartie sur mon rythme « 09h - 19h non-stop » pour rattraper mes décalages de planning professionnel. J’avoue que j’aimerais moi aussi faire expérience de n’avoir rien d’autre à faire que de m’entraîner toute l’année. Quant au contenu spécifique de mes entraînements, je me permets d’en conserver le fond et la manière.
Explique-nous la clef de ta réussite sur cette compétition
CD : J’ai consacré mon temps et ma réflexion aux trois disciplines, assidûment tout le long de la saison. Je me suis plus singulièrement focalisée sur la vitesse, par manque de représentation de la discipline. Dès la première séance en me confrontant à mes incapacités et incohérences, j’ai compris que je pouvais compter sur les conseils constructifs de Sylvain Chapelle, entraîneur national de la discipline. Séance après séance, il a construit ma réussite par une infinité de détails dont la simple perception, bien avant leur compréhension, n’a trouvé sa mesure qu’au fil du temps et des essais.
Au final, je termine première du combiné en vitesse, établissant le meilleur temps pour une féminine du combiné en compétition internationale, devant deux filles émérites issues de cette discipline, la Suisse Petra Klingler et la Russe Dinara Fakhritdinova. Je suis assez fière de cette performance-là.
Quant à la valeur absolue de mon temps de parcours, Sylvain m’a donné envie de m’y accrocher pour viser plus haut à Bercy en 2016. Je remercie aussi au passage les copains de l’équipe de France de vitesse qui m’ont encadrée avec pertinence dans ma progression.
Qu'avais-tu en tête au début de ces championnats du monde? Sentais-tu le podium accessible ?
CD : M'étant entraînée spécifiquement, ayant un sérieux vécu en compétition et n’étant impressionnée que par la classe de trois grimpeuses de la difficulté, Jain Kim (COR), Anak Verhoeven (BEL) et Magdalena Rock (AUT), une marche de podium en combiné ne me paraissait pas inaccessible du seul fait des engagées pour ce challenge.
Par discipline, c’est une autre histoire. En effet, je passe un peu à côté du bloc, étant imprégnée d’une stratégie visant la gestion d’une accumulation globale de résultats. A force de vouloir le contrôle sur tout, et la qualité gestuelle qui l’accompagne, j’en ai oublié que le bloc ne peut s’en satisfaire et que la prise de risque est obligatoire, beaucoup plus radicalement qu’en difficulté. Si j'ajoute à cela une blessure sérieuse au genou issue d'une entorse en juin qui a entraîne des complications, puis une entorse à la cheville lors d’un entraînement à la mi-août sur Voiron en bloc, je n’ai pas vraiment pu disposer de toutes mes capacités physiques et de ma lucidité d’esprit jusqu’au terme de ma finale de difficulté.
Les échecs ayant parsemés ma vie de compétitrice, ils m’ont appris à me relever et ne m’impressionnent plus. Au final j’ai pris le combiné comme un heptathlon ou un décathlon, comme un cumul de performances sans limite d’amélioration, et j’ai de bonnes raisons de remettre le couvert.
Quand as-tu compris que tu allais gagner ?
CD : Après la demi-finale, et quoi qu’il advienne de la finale de difficulté, je me savais sur la première marche. J’étais à égalité de points avec Petra Klingler (SUI). Nous avions toutes les deux réalisé les places 1-2-3, mais comme par deux fois je suis devant elle, en vitesse et en difficulté, nos places étaient scellées. Cette victoire issue de ma première place en vitesse aurait pu s’imaginer contre-nature, mais c’était sans compter sur la pertinence de Sylvain Chapelle et la motivation essentielle qu’il a su m’insuffler. Je vais donc continuer à m’engager sur cette discipline incroyablement riche de sensations, car je suis sûre qu’il saura me faire gagner en deux ans la seconde qui me permettra de voir plus grand à Bercy 2016.
Comment te sens-tu après ce nouveau titre ?
CD : Contente et satisfaite, du seul fait de ne pas avoir sacrifié ma saison pour rien. Mais je n’ai pas eu le temps de l’apprécier car j'ai depuis passé énormément de temps sur mon boulot. J’espère donc pouvoir vivre cette réussite, non pas par une reconnaissance éphémère car demain est une remise à zéro du compteur, mais simplement par apaisement après un lourd investissement.
Qu'envisages-tu pour la suite ?
CD : Profiter de l’extérieur, du milieu naturel, par le biais de quelques trips en terres inconnues, avant de reprendre pour la saison 2015.
Je finis en remerciant mes sponsors, EB, Volx, Petzl et Millet, qui m'ont suivie et soutenue dans ce projet, ainsi que les coachs et athlètes de l'équipe de France de bloc qui m'ont accueillie dans leur groupe et conseillée sur les différentes compétitions engagées ensemble. Un grand merci à mon père qui a su m'accompagner à distance et me suivre de près lors des quelques rares entraînements que l'on a pu faire ensemble, et enfin à Sylvain Chapelle sans qui je n'aurai pas pu réussir ce challenge.