Il y a eu Bercy 2012, il y aura Bercy 2016. Que représente l'organisation d'un Championnat du monde sur le sol français pour un entraîneur national ? Et plus globalement pour le milieu de l’escalade ?
Sébastien Gnecchi, entraîneur national handi-escalade : En temps normal, un championnat du monde est déjà un grand moment pour un grimpeur. Alors, lorsqu'il se déroule en France et encore plus à Bercy, cela prend encore une autre dimension. Toutes les équipes de France d'escalade sont réunies, le public est nombreux. La pression est plus importante aussi, car il est normal de vouloir réaliser de belles choses dans son pays.
Sylvain Chapelle, entraîneur national de la vitesse : Pour moi, c’est une belle occasion de profiter d'un évènement parfaitement organisé. Aucune compétition internationale n’arrive à la cheville de ce qu’il se passe à Bercy : les moyens, l’organisation, les bénévoles, le timing des compétitions : tout est au top ! Les évènements organisés sur le sol français – et notamment à Bercy - sont des exemples pour les autres nations de l'escalade.
Nicolas Januel, entraîneur national du bloc : C'est nos Jeux Olympiques ! Et en plus cette année, c'est à domicile que ça se passe ! Pour la fédération, cela va représenter un investissement énorme, à la hauteur de la qualité de la compétition qui sera proposée. Mais cela en vaut la peine. Pour le monde de l’escalade, je pense que c’est très important d’avoir des organisateurs qui savent créer des évènements toujours plus grandioses. Cela pousse tout le milieu de la compétition à se dépasser et permet au public de profiter d’un superbe spectacle.
Bercy, est-ce un lieu idéal pour un tel évènement ?
Corentin Le Goff, entraîneur national de la difficulté : Oui, car Bercy est un lieu facile d’accès, en plein cœur de la capitale ! Et Paris, c’est Paris… De plus, l'arène a une longue histoire : elle fait partie du patrimoine du sport français.
Sylvain Chapelle : Et puis, c’est une enceinte magnifique qui – en plus – sera toute neuve l'année prochaine. Pour la vitesse, l’effet « chaudron » avec l’ensemble des spectateurs qui vous entourent et vous supportent, c'est une source de motivation incroyable !
Sébastien Gnecchi : En vrai, il n'y a qu'à observer l'engouement suscité par Bercy 2012...
Justement, comment avez-vous perçu Bercy 2012 ? Quel y a été votre meilleur moment ?
Sylvain Chapelle : Je botte en touche. Les résultats de la vitesse ont été un peu trop frustrants. Pour moi, le meilleur moment aura lieu en 2016 : ça sera l'heure de la revanche.
Nicolas Januel : De mon côté, ça a été un moment unique. Une de mes premières grandes expériences en tant qu’entraîneur national. J’avais trouvé impressionnante l’atmosphère de cette salle, où se sont déroulés tant de grands évènements.
Quant à mon meilleur souvenir, il a marqué à jamais mon parcours. C'est le titre de Mélanie Sandoz dont j’étais l’entraîneur à l’époque. Une de ces compétitions où tout se déroule comme on l’aurait rêvé. Depuis ce jour, j’ai un très bon feeling avec Bercy !
Sébastien Gnecchi : Bercy 2012 était tout simplement le premier moment que j’ai passé avec l’équipe de France handi-escalade. Nous avons vécu des instants très forts, remplis d’émotion.
Mon meilleur souvenir reste la victoire de Nicolas Moineau en déficient visuel B1. Il était un des favoris, mais tout restait à faire. Lors du passage de Nicolas, il n'y avait pas un bruit dans l'enceinte. C’était hallucinant : un respect total pour le grimpeur. Et puis, lorsqu'il chute, le public a explosé : l’émotion était très forte.
Quelques minutes plus tard, nous faisions une interview lorsque François Petit – entraîneur du bloc à l'époque - nous a appris que Nicolas était champion. Il y a eu des étreintes, des larmes : c'est un moment dont je me souviendrai toute ma vie. Quand on en reparle encore aujourd’hui avec Nicolas, on a vite la chair de poule.
Nicolas moineau, en or en 2012
Revenons à 2016 avec une question incontournable : sportivement, que représente – selon vous – le Championnat du monde pour un athlète ? Comparé à la perspective d'une victoire en Coupe du monde par exemple ?
Sébastien Gnecchi : Le Championnat du monde, c’est LA compétition prioritaire pour tout le monde. Il faut être présent le jour J à l’heure H.
Sylvain Chapelle : Effectivement, cela implique d'être capable de se préparer pour une échéance d’une seule journée. Et c'est d'autant plus complexe parce que cette journée n'arrive qu'une fois tous les deux ans ! Une victoire en Coupe du monde, c’est génial et très fort, mais l’athlète a beaucoup plus d’opportunités d'y parvenir.
Corentin Le Goff : Je suis d'accord. Le titre de champion du monde est le titre le plus difficile à obtenir ! Difficile dans le sens où il est très « aléatoire » : tout se joue sur une compétition qui a lieu tous les 2 ans. Difficile aussi car c’est la compétition où la concurrence est la plus importante en nombre, et la mieux préparée physiquement. Pour moi, c'est le rendez-vous primordial dans une carrière de grimpeur : c’est tout simplement le titre le plus prestigieux en escalade.
Nicolas Januel : De mon côté, je pense que c’est très variable selon les grimpeurs et les pays. Même si globalement j'en conviens : c’est le titre ultime. Les outsiders sont plus remontés que jamais pour faire un exploit, les leaders sont parfois un peu tendus. Cela tend à lisser les différences de niveau et offre souvent une compétition très ouverte. Et donc beaucoup de spectacle.
Dans quelle mesure « cette date » influence-t-elle le cursus de préparation de l'athlète ? Est-ce le gros objectif pour tous les membres des équipes de France ?
Corentin Le Goff : Sincèrement, oui c’est le GROS objectif de tous les membres de l’équipe de France !
Sébastien Gnecchi : Toute la planification de la saison est basée sur cette compétition...
Sylvain Chapelle : Je suis d'accord. Mais il est important également d’être en forme pour la saison de Coupe du Monde car cela permet d’être en confiance et en forme lors du Championnat du monde.
Nicolas Januel : Pour nous, elle n’a pas une influence particulière car il y a beaucoup d’échéances très importantes en amont. La Coupe du Monde de bloc sera riche de 8 étapes l’année prochaine sur lesquelles il faudra être performant pour espérer briller à Bercy. Ce serait une erreur d’avoir en tête cet unique objectif, car c’est en répétant des prestations de haut niveau en Coupe du Monde qu’on se donnera les meilleures chances de réussites à Paris. Ceci dit, comme pour tous les compétiteurs à travers le monde, le Championnat du monde sera l’objectif n°1 de nos grimpeurs.
Comment prépare-t-on un athlète pour Bercy ? Comment gère-t-on son niveau de forme pour qu'il soit au top ce jour-là ?
Sébastien Gnecchi : Comme toute préparation, on va du général au spécifique. Plus on se rapproche de l'évènement, plus on est proche des exigences de la compétition. On fait plus de qualitatif. Les séances sont moins longues ce qui permet au grimpeur de récupérer.
Nicolas Januel : Considérant la saison de bloc, au niveau physique, ce ne sera pas trop compliqué, la compétition se déroulera après la Coupe du Monde, nous aurons donc une période de plusieurs mois, pour récupérer et se ré-entraîner spécifiquement Au niveau mental, je pense qu’il est par contre impossible de répondre à cette question, tant la réponse est propre à chaque grimpeur. En fonction de leur statut, de la saison réalisée, du niveau de forme, de leurs profils psychologiques. Dès que nous connaîtrons la sélection pour Bercy, nous allons donc mener un travail très individualisé pour essayer d’amener chacun d'eux dans les meilleures dispositions. Et comme me l’a montré mon expérience de 2012 : là-bas, tout est possible !
Corentin Le Goff : L'objectif est effectivement que l’athlète arrive à maturité le jour J ! Dans l’idéal, on fait en sorte que pendant les 2 années précédentes, il ait acquit le niveau, la régularité, et le mental pour pouvoir prétendre à la victoire. Je dirais que c’est la partie la plus facile car on connaît bien nos athlètes, et on planifie tous leurs entraînements depuis plusieurs années. Donc nous avons le retour d’expérience nécessaire pour faire en sorte qu'ils soient dans une période de forme optimale.
Sylvain Chapelle : Mais c'est sûr, qu'il n’y a malheureusement (ou heureusement ?) pas de recette miracle. Chacun est différent avec des moyens qui lui sont propres. Et chacun « digère » et réagit de manière différente aux entrainements. Lors des 4 dernières années, nous avons fait des erreurs. Mais aussi accompli de belles choses. C'est tout cet historique qui va nous permettre d’amener nos grimpeurs dans les meilleures dispositions à Bercy.
En quoi consiste – de manière très pragmatique – le quotidien d'un entraîneur national pendant le Championnat du monde ? Quel est votre rôle sur place ?
Sébastien Gnecchi : C’est un mélange de choses : on rassure les grimpeurs, on les encourage et on subit le stress lorsqu'ils passent. De mon côté, je guide aussi les grimpeurs déficients visuels.
Sylvain Chapelle : Je pense qu'il faut essayer de tout anticiper. Rectifier les erreurs techniques de chacun après chaque « run » et veiller à ce qu’ils s’échauffent ni trop tôt ni trop tard. Savoir répondre à toutes les interrogations des athlètes pour qu’ils n’aient à se soucier que de leur compétition. Savoir aussi s’interposer lorsque des adversaires essayent de leur mettre la pression. Rassurer ou bousculer les grimpeurs selon ce qu’ils ont besoin. Parfois leur occuper l’esprit pour qu’ils ne se concentrent pas que sur leur prestation.
Nicolas Januel : Cela commence tôt en amont. On organise la vie du groupe pour que chacun vive au mieux l’évènement et qu’il y ait le moins d’incertitudes possible dans les emplois du temps. Sur place, on passe notre temps entre l’hôtel, l’isolement et la zone de compétition. En moyenne on reste entre 10 et 14 heures sur le lieu de compétition. L’idée c’est d’arriver à mettre les grimpeurs dans les meilleures conditions avant, pendant et après leurs passages. On coordonne aussi les interventions de Vincent Etchar et Adrian Ribes, nos deux kinésithérapeutes, qui sont d’un grand soutien. Et pas forcément uniquement au niveau médical.
Corentin Le Goff : Nous avons effectivement une sorte de rôle de « chef d’orchestre » avec le groupe. De plus, sur un évènement comme Bercy, nous devons gérer les sollicitations extérieures pour que les athlètes puissent s'économiser au maximum. Côté préparation, on fait en sorte que pendant les 2 années précédentes, ils aient acquis le niveau, la régularité, et le mental pour pouvoir prétendre à la victoire. Je dirais que c’est la partie la plus facile car on connaît bien nos athlètes, et on planifie tous leurs entraînements depuis plusieurs années. Nous avons le retour d’expérience nécessaire pour faire en sorte qu'ils soient dans une période de forme optimale.
Quelles sont les chances de médailles de la sélection tricolore l'année prochaine ?
Corentin Le Goff : Si Bercy avait lieu demain, on aurait quelques belles chances de médailles...
Sébastien Gnecchi : En handi-escalade, nous avons des challengers dans plusieurs catégories. Par ailleurs, nous avons obtenu 5 médailles au Championnat du monde de Gijon l’année dernière, c'est prometteur. Mais on n’est pas à l’abri d’une erreur... ni d'une bonne surprise d'ailleurs.
Sylvain Chapelle : On a la capacité de monter sur des podiums, chez les filles et autant chez les garçons. Maintenant, tout peut se passer en vitesse : c'est le Championnat du monde, une contre-performance est si vite arrivée !
Nicolas Januel : C’est difficile à dire aujourd’hui mais ce qui est sûr c’est que l’ensemble des équipes de France senior ont fait une belle saison 2015. Il y a des leaders affirmés dans toutes les disciplines et beaucoup de jeunes qui pourraient arriver à maturité pour cette compétition. Bref, il y aura des chances de titres dans toutes les spécialités et c’est très motivant pour nous tous.
Dans un milieu comme celui de l'escalade, où les athlètes n'arrivent pas – pour beaucoup - à vivre de leur sport, les perspectives financières - directes et indirectes - d'un podium au championnat du monde sont-elles une donnée significative dans les aspirations des grimpeurs ?
Corentin Le Goff : Oui, car un champion est toujours en recherche de reconnaissance. Et devenir champion du monde implique de la notoriété. C’est un bon départ pour que des partenaires financiers s’intéressent à soi, et à son projet…
Nicolas Januel : De mon côté, je ne suis pas convaincu. Même si - c'est vrai - à notre niveau, une victoire peut avoir des répercussions conséquentes. Mais selon moi, en France, si on grimpe pour gagner de l’argent, il vaut mieux arrêter tout de suite. Après, vu les sacrifices que réalisent la plupart des athlètes pour atteindre leurs objectifs et pour vivre leurs rêves, je leur souhaite à tous d’en tirer les meilleures retombées.
Sylvain Chapelle : En vitesse, l'argent est encore moins une motivation que pour les grimpeurs de bloc et de difficulté. Aucun athlète de l’équipe de France de vitesse n’a de partenaire financier à ce jour. En dehors des aides de la fédération et des collectivités territoriales - ce qui est loin de permettre à un athlète de vivre – ils ne touchent rien.
Sébastien Gnecchi : Il est certain que les membres actuels de l’équipe de France handi-escalade ne vivent pas de leur pratique. Un titre de champion du monde ne les aidera pas à gagner de l'argent mais cela peut leur permettre d’accéder aux listes de sportifs de haut niveau. Et d’avoir ainsi des aides financières et d’accéder plus rapidement à des sponsors.
Quel serait – pour vous – le scénario d'un Bercy « idéal » ?
Sébastien Gnecchi : Un championnat idéal pour moi ? Des Marseillaises en valide et en handi, c'est sûr. Mais aussi su spectacle et de l'émotion.
Sylvain Chapelle : En vitesse, chanter la Marseillaise serait magnifique. Je chante très mal, mais j’adore cette chanson !
Corentin Le Goff : Beaucoup de Français à leur meilleur niveau et ensuite, qu'ils fassent vibrer le public de Bercy…
Nicolas Januel : Que tous les grimpeurs français grimpent à leur meilleur niveau. Qu’ils fassent les blocs qu’ils peuvent faire, qu’ils battent leurs records en vitesse et qu’ils aillent au bout d’eux-mêmes dans chaque voie de difficulté. Si nous arrivons à les accompagner pour qu’ils fassent ça, nous – entraîneurs - avons déjà gagné.