FFME iMag - Le magazine de la Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade - 7 : Décembre 2015

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7-rencontres-mich3.jpg Le Cho-Oyu (8201m), objectif de cette première expédition féminine en Himalaya
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Les membres de l'expédition au complet
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Micheline Rambaud, photo prise en 1959
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Micheline Rambaud vit aujourd'hui à Annecy. Elle est la dernière survivante de l'expédition de 1959.
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Rencontres

Micheline Rambaud raconte la première expédition féminine en Himalaya

Comment cette jeune photographe grenobloise de 29 ans s'est-elle retrouvée là ? Parce qu'à cette expédition féminine internationale au Cho-Oyu (8201m) de 1959, il fallait bien une femme cinéaste capable de faire face aux rigueurs de la très haute altitude. Et même si l'idée d'y participer lui a paru un peu folle au départ et que l'issue de l'aventure s'est révélée tragique, elle a su garder le meilleur de cette incroyable opportunité. Rencontre avec Micheline Rambaud, la dernière survivante de la première expédition 100% féminine en Himalaya.

Elle n'était ni une photographe de renom, ni une alpiniste de haut niveau. Pourquoi Claude Kogan – chef de cette première expédition féminine en Himalaya – a-t-elle donc fait appel à Micheline Rambaud pour mettre en images cette tentative vers le Cho-Oyu, 6ème plus haut sommet de la planète et d'une altitude de 8201m ? Et bien, tout simplement parce qu'elle était un peu les deux.


« Ma vie à cette époque là ? Je travaillais 60h par semaine dans l'entreprise familiale de photographie. Des courses en montagne ? J'étais libre du samedi 20h au lundi 8h. Alors on faisait au mieux : un ami venait me chercher en Vespa au travail le samedi soir et on partait de nuit pour le refuge, pour grimper le dimanche », se souvient Micheline. Mais elle tient à le préciser : « je n'étais pas une alpiniste de haut-niveau, voilà pourquoi cette proposition – par l'intermédiaire de Félix Germain – m'a surprise. »


La photographe hésite alors. Qu'elles que soient les possibilités d'être parmi les cordées des tentatives vers le sommet, rien que la marche d'approche est une entreprise dans laquelle on ne s'engage pas à la légère : près de 24 jours de marche et plus de 300km à parcourir avec de forts dénivelés, en montée et en descente, chaque jour. Et puis il fallait financer soi-même son voyage : « à cette époque, il n'était pas évident de trouver des financements pour une expédition de femmes, car pour certains, même alpinistes, nous n'étions QUE des femmes... », se souvient Micheline.


Ce sont des amis qui ont fini par la décider : Félix Germain, en tant qu'alpiniste et François Florence, de son point de vue d'himalayiste. L'un la rassurant sur sa capacité à suivre le rythme. L'autre lui assurant : « cela vous fera des souvenirs pour tout le reste de votre vie. » En résumé, c'est la perspective de participer à une grande aventure humaine qui la décide. Et celle d'y vivre des moments impérissables. Moins entraînée que les autres, car moins disponible, elle commence donc une préparation pour augmenter ses capacités physiques.


12 femmes, deux prétendantes au sommet


Elles seront douze à partir. Neuf Européennes : « trois Londoniennes du Ladys Alpine Club, Dorothée Gravina qui rentrait du Kilimandjaro, Eileen Healey qui était passée par le sommet du Kulu en Himalaya et Margaret Darvall. Une Genevoise, Loulou Boulaz, la plus fameuse femme alpiniste du monde à l'époque, car vainqueur de la face nord des Drus, des Grandes Jorasses, et qui venait d'ajouter à son palmarès une étonnante victoire dans les Dolomites. Une Chamoniarde, Jeanne Franco, redoutable alpiniste, et institutrice dans le civil. Et une Belge, Claudine van den Straten Ponthos, avec qui Claude Kogan avait parcouru d'innombrables sommets des Andes. Ce sont ces deux dernières alpinistes qui étaient promises au sommet. Elles resteront à jamais sur les pentes du Cho-Oyu.»


A cette équipe d'assaut, Claude Kogan ajouta deux techniciennes françaises : la docteur Colette Lebret, médecin habituée des sommets alpins et Micheline, avec la délicate mission de mettre cette aventure en images. Pour remercier Tensing Norgay de lui avoir choisi des sherpas "sûrs" – comprendre, des ressources qui ne se mettraient pas en grève au mauvais moment, Claude Kogan accepta d'emmener ses deux filles et sa nièce.


La suite ? Micheline raconte : « le 21 août 1959, notre caravane prend la piste du Nangpa la, (col entre le Népal et le Tibet). Elle est composée des 12 femmes citées, flanquées de leurs 12 sherpas et de 187 porteurs, dont une quarantaine de femmes, qui se répartissent nos 5 tonnes de matériel. Notre longue colonne arrive au camp de base 24 jours plus tard après avoir marché dans les rizières et la boue, sous le soleil desséchant, dans les forêts étouffantes, sur les pierrailles et enfin sur la glace. »


Quant à savoir comment elle a vécu ce long périple jusqu'au camp de base, Micheline n'y va pas par quatre chemins : « C'était très dur. Nous marchions de 9h à 16h, en ne s'arrêtant que deux fois, pour le thé et pour déjeuner. La fatigue était omniprésente. Mais il fallait mettre un pied devant l'autre. » Une phrase, citée du carnet qu'elle tenait à cette époque, laisse même cette question en suspend : « je me demande bien pourquoi je suis venue mourir ici ? » Elles avaient beau avoir le meilleur matériel conçu à cette époque, il n'avait rien de comparable avec ce qui existe aujourd'hui. Et il n'enlevait pas la fatigue de la marche...


Un voyage – tragiquement – sans retour


La longue colonne finit par installer son camp de base au pied du Cho-Oyu le 14 septembre 1959 : « au pied du Cho-Oyu, à 5800m d'altitude, notre camp de base s'installe, et la navette avec les camps supérieurs peut commencer. La mousson dure encore. Mais chaque jour, il neige pendant quelques heures ; puis un coup de vent, et le ciel redevient serein pour quelques heures, ou pour quelques jours. La mousson serait-elle finie ? Non, car après ce jour trop beau où, dans la transparence de l'air les montagnes semblent se rapprocher de nous, le temps se gâte. On est le 1er octobre 1959. »


Ce premier jour d'octobre 1959, un drame va jeter un voile sombre sur cette prometteuse aventure humaine. Micheline fait le récit - dans un document rédigé pour accompagner la diffusion de son film "Voyage sans retour"- des circonstances de l'accident.


« Au camp de base : Colette et Micheline assurent le ravitaillement vers l'altitude. Au camp 1, Jeanne et Eileen continuent l'organisation et acheminent le matériel au camp 2, que Claude veut très solide, pour alimenter les camps supérieurs et en être la base. Creusé dans la glace, il est un refuge très sûr contre le froid, le vent, la neige et les avalanches. Au camp 3, Claude et Claudine avec 2 sherpas posent une tente, et malgré le temps qui se détériore, elles partent en direction du camp 4.


Au camp de base, face à une neige lourde qui s'amoncelle rapidement, dans une chaleur accablante et inhabituelle, c'est l'attente angoissée du retour des 14, filles et sherpas, échelonnés dans la montagne. Le lendemain matin, à la vingtième heure de neige, les avalanches commencent à déferler sur toutes les pentes environnantes, nous donnant l'impression de camper à côté d'un pont de chemin de fer à trafic intense. Il est 9 heures du matin, le 2 octobre. À midi nos compagnes du camp 1 et du camp 2, arrivent à la base, avec leurs sherpas. Ils ne sont donc plus que 5 en altitude.


Puis le soir, dans le froid et la neige qui ouate les bruits, un faible appel nous arrache à nos tentes. Qui redescend ? Nous nous précipitons dans la direction de la voix. Mais ce visage gonflé par le froid, tuméfié d'avoir été roulé dans l'avalanche, ce corps à bout de forces d'en être redescendu il ne sait comment, simplement parce qu'il voyait la lumière du camp de base, c'est Wangdi, notre sirdar aux yeux de gamin rieur. Seul.


Pendant que nous commençons à soigner ses mains noircies par le gel, il nous explique son départ le matin avec Chouang, malgré le mauvais temps, pour aller chercher les m'sahbs et Ang Norbu au camp 4. "C'est mon devoir", avait-il dit à Dorothée qui ne le voyait pas partir plus haut sans appréhension. Et de nous raconter comment l'avalanche les prit au camp 3, comment il réussit à se hisser hors de sa gangue après 2 heures d'efforts, sans pouvoir sauver son ami. Après il ne sait plus. Il sait seulement qu'il a marché au milieu des avalanches durant ces 8 dernières heures, s'enfonçant jusqu'au ventre dans la neige fraîche.


La neige n'étant pas transformée, stabilisée, ce serait risquer de nouvelles vies que de s'aventurer sur les pentes du Cho-Oyu. Alors pour tous se prolonge l'attente dans un brouillard si dense que l'on y voit à peine à 10 mètres. Il nous faut rester 4 jours sans bouger. Et pendant ces 4 jours, à la jumelle, depuis un sommet rocheux voisin ou du haut de "l'éperon", nous tentons de distinguer quelque trace de vie, un petit point noir sur la face immaculée du Cho-Oyu. Pendant des heures devant cette montagne nue, nous hurlons leurs noms dans le vent d'hiver et l'écho ne répond même pas.


Le 6 enfin, Jeanne, Dorothée et Colette entreprennent la longue montée vers les camps d'altitude. Le camp 1, bien qu'environné d'avalanches, est intact. Le camp 2, bien abrité, est sauf. Hélas, il est vide d'habitants, lui aussi. Au camp 3 à 6850m, il ne reste rien, qu'une corde coupée plongeant entre les blocs d'une avalanche, au bout de laquelle gît le Sherpa Chouang.


Plus haut, à 7100m, là où se trouvait le camp 4. Rien. A la place de la jolie tente verte, il n'y a rien, rien qu'un immense champ de neige immaculé, sous un ciel enfin calme, enfin bleu. La montagne est vide. Comprenant qu'il n'y a plus d'espoir, nos amies accomplissent, hébétées, une morne descente. »


Ce sommet était promis avant tout à Claude et Claudine. Face à cette tragédie, la décision est prise collectivement d'entamer le retour, sans tenter de monter, de nouveau, vers le sommet.


L'histoire est belle, mais le dernier chapitre est un drame


Que reste-t-il de cette aventure humaine hors du commun ? On lui a demandé – avec toute la délicatesse qui s'impose – si malgré le drame, l'expérience méritait d'être vécue ?


« Je ne parle qu'en mon nom. En ce qui me concerne, cette tragédie est un des chapitres de notre aventure. Cela reste malgré tout une expérience fabuleuse, et ne l'oublierai jamais, notamment, pour ce qu'elle m'a apprise. Car le vase clos qu'est une expédition himalayenne, est une école formidable. Si on y ajoute qu'il faut aller au delà de soi, continuer d'avancer malgré la fatigue, la pluie ou la soif au long de chemins ruisselants d'une eau polluée qu'on ne peut pas boire, que l'on s'enrichit de rencontres au long des routes avec les femmes sherpanis et les sherpas... Et tous ces souvenirs sur un fond de montagnes extraordinaires, c'est une chance dans une existence. Une chose est sûre, la femme que je suis aujourd'hui, je la dois pour beaucoup à la montagne mais aussi à cette expédition ».


Ce qu'il reste aussi c'est son film "Voyage sans retour" le témoignage d'une femme sur une aventure de femmes. Un film qui a reçu le grand prix de l'Union Internationale des Associations d'Alpinisme au Festival de la montagne et de l'exploration de Trento en 1960. Avec les archives, il reviendra prochainement à la FFME, en reconnaissance de l'aide amicale que celle-ci avait accordée à Claude Kogan. Un récit fort livré par Micheline Rambaud, à placer dans le contexte d'une époque où les femmes avaient beaucoup à conquérir sur les hommes, à la ville comme à la montagne, en France comme en expédition himalayenne. D'une époque pas si lointaine où – légalement parlant – une épouse n'avait pas le droit de travailler sans l'autorisation de son mari.

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