Antoine Lang est un alpiniste chevronné. Aspirant guide et moniteur de ski, il est également charpentier à l'inter-saison. Avec le responsable de l'ENAM Antoine Pecher et Olivier François, un ancien de l'ENAM, ils sont partis en 2014 direction l'une des plus mythiques face nord des Alpes. Les Grandes Jorasses et sa voie Gousseault-Desmaison, dont l'ouverture par la paire d'alpinistes homonymes a donné lieu à l'une des tragédies les plus médiatisées de la « conquête » des grands sommets alpins dans les années 70.
La course est célèbre. Cela est évidemment entré en ligne de compte lorsqu'Antoine a accepté la proposition d'Olivier et d'Antoine Pecher : « il y avait de super conditions dans les Jorasses et je n'y avais encore jamais été, notamment parce que les Jorasses, ça effraie. On revenait d'une autre ascension et on a vu que la Gousseault-Desmaison était en parfaite condition. Si on voulait y aller un jour dans notre vie, c'était peut-être le créneau à prendre. Moi j'étais un peu réticent, notamment parce qu'on revenait d'une sortie, qui m'avait fatigué. Et que j'avais peur. Mais ils ont réussi à me convaincre. »
Ils s'embarquent sur le mythique tracé. Mais revenons d'abord sur ce fameux morceau d'histoire. René Desmaison, grand parmi les grands, souhaitait en 1971 ouvrir une voie directe vers l'éperon Walker, dans la face nord des Grandes Jorasses. Puriste, l'alpiniste souhaite cette première en conditions hivernales et choisit pour l'accompagner un jeune guide, Serge Gousseault.
Malheureusement, l'ascension se passe mal. Défaillances matérielles, mauvais temps. Ils se retrouvent complètement bloqués à 80m sous le sommet, Serge Gousseault étant immobilisé par des gelures très importantes. Ils resteront 4 jours dans un bivouac précaire avant que les secours ne sortent Desmaison de la face. Serge Gousseault y trouva la mort – de froid et d'épuisement - avant l'arrivée de l'hélicoptère. Comme souvent dans le milieu de l'alpinisme chamoniard, les polémiques n'ont pas manqué sur les circonstances du drame. Et la course est devenue célèbre.
Des appréhensions ? « Evidemment ! »
Si Antoine Lang connaissait cette histoire ? Bien sûr. René Desmaison l'a racontée dans un livre, 342 heures dans les Grandes Jorasses. Si cela participait à ses appréhensions ? Evidemment. Mais il s'embarque tout de même dans cette folle aventure. Une longue marche d'approche : de Chamonix vers le Montenvers, puis la Mer de Glace pour enfin prendre pied sur le glacier de Leschaux et rejoindre le pied de la face. « On a installé notre premier bivouac – sans tente, trop lourd à porter, car la descente se fait côté italien et qu'au refuge de l'Echaud, il y avait trop de monde. On voulait être les premiers dans la voie. »
Les grimpeurs posent les protections dans la première longueur et se lovent dans leurs duvets pour tenter de grappiller quelques heures d'un sommeil nerveux, avant d'attaquer la face dès 3h30. « Tu peux me croire, une fois debout, le petit déj est vite avalé », sourit Antoine. Il se répartissent l'effort : « on a divisé la face en 3 parties égales. Chacun a fait son morceau en tête. » Antoine attaque de nuit. « Je m'en rappelle pas bien, on était assez rapides, on faisait pas mal de « corde tendue », les conditions étaient vraiment bonnes. »
La voie se poursuit par des terrains très variés. Elle est d'ailleurs connue pour ça. Du mixte glace/rocher, de l'escalade rocheux, du dry-tooling, de la neige : il y en a pour tous les goûts. Antoine Pêcher prend le lead ensuite, puis Olivier reprend la tête pour laisser le responsable de l'ENAM faire la sortie de la face sur le sommet, 16 heures après le premier coup de crampon. « Un sentiment très fort, un mélange d'accomplissement et de soulagement. Mais on ne peut pas se laisser aller : la maison est encore loin. »
Les trois compagnons entament directement la descente, et parviennent 3 heures plus tard au refuge. « Défaits ! Mais on a quand même passé une petite heure à se raconter des conneries avant de dormir... » Il faut bien décompresser un peu !
Quant à savoir ce qui se passe dans la tête d'un alpiniste pendu à ses piolets dans la face nord des Grandes Jorasses, « pas grand-chose en réalité. On est dans l'effort et dans une voie comme ça on peut pas trop douter. On sait que les deux compagnons tiennent la route : il va falloir en faire autant ». Et dans cette aventure hors norme, où est le plaisir ? « Dans le challenge c'est sûr, mais aussi dans la camaraderie. Et puis y a peut-être des gens qui ont besoin de se faire un peu peur... Mais ça ne nous empêche pas de blaguer tout le long ! »
Et à part les Grandes Jorasses, quelque chose de plus accessible peut-être ?
Parce que c'est un bien beau récit, mais vous voulez peut-être savoir ce qu'Antoine vous conseillerait comme course plus accessible, non ? « Une voie dans le même style que la Gousseault-Demaison mais en plus accessible : la Contamine-Grisolle dans le triangle du Tacul. On y accède par le téléphérique de l'Aiguille du midi et selon son état de forme, on parvient jusqu'au sommet du Mont-Blanc du Tacul. C'est une belle course cotée AD (assez difficile). La course se fait en début de saison quand il y a encore de la neige. » Goulotte de glace, couloir en neige, partie de mixte : on y trouve de tout dans un ensemble relativement accessible. A bon entendeur...