Il fût un temps où tout montagnard en herbe se devait de connaître sur le bout des doigts les particularités de chaque grain de neige qu'il pouvait être amené à croiser. « Il y a quelques années encore, les formations s'évertuaient à rentrer dans le détail de la physique de la neige. L'idée était d'anticiper les risques en allant très loin dans les connaissances purement théoriques », explique Olivier Mansiot, conseiller technique national ski-alpinisme à la FFME. « Mais on s'est rendu compte que – aussi précises fussent-elles – ces connaissances prémunissaient mal les pratiquants du danger. On a donc opté pour une autre approche. »
Élaborées en concertation avec l'Association nationale pour l'étude de la neige et des avalanches (ANENA) et la Fédération française des clubs alpins de montagne, les formations dispensées par la FFME se concentrent sur un autre impératif essentiel : identifier les facteurs de risque et les situations propices au déclenchement d'avalanches.
Quels sont les facteurs de risque de déclenchement d'une avalanche ?
Pas avares en conseils, nous avons fait le tour de la question avec Olivier Mansiot. Ce qui en ressort ? Les facteurs de risque pardi ! Mais on vous prévient tout de suite : notre objectif ici est de vous donner quelques clés de raisonnement. Pas de servir de base exhaustive à vos prises de décisions lorsque vous planifiez une sortie.
Nous connaissons maintenant bien les causes et les mécanismes de déclenchement des avalanches. Reste à faire le lien entre la théorie et la réalité du terrain, notamment lorsqu’une couche fragile est enfouie à l’intérieur du manteau neigeux et n'est donc pas visible par le skieur.
Les fortes chutes de neige. J'en suis bien conscient : on ne vous fait pas plaisir en présentant en premier dans la liste des risques, les grosses chutes de neige. Parce que vous votre truc c'est clairement la poudreuse. Vous aimez avoir la sensation de skier sur un nuage... Qui n'aimerait pas ? C'est dur à dire, mais c'est un fait : les grosses chutes de neige sont un des facteurs de risque. A partir de 25/30 cm de neige fraîche, le danger augmente sensiblement.
De là à dire que skier sur de la neige fraîche est à proscrire il n'y a qu'un pas. Un pas qu'Olivier Mansiot ne franchira pas : « je ne dis pas qu'il faut éviter la poudreuse comme la peste. C'est bien plus compliqué que ça. Mais il est évident que les grosses quantités fraichement tombées sont un facteur de risque... Pour tout de même sortir, il faut alors choisir ses pentes avec plus de soins, et adapter son comportement sur le terrain ! »
Le réchauffement soudain des températures. Un changement brutal de température n'est jamais bon signe. Lorsqu'elle est à la hausse, cette évolution soudaine transforme le manteau neigeux et peut créer des avalanches de neige humide. C'est un phénomène que l'on rencontre souvent au printemps. Il convient – lorsque le thermomètre est trop clément – de partir très tôt le matin pour ne pas attendre que la texture de la neige change. Ou de préférer un versant « mieux » exposé : les versants est prennent le soleil plus tôt le matin, ils seront donc déconseillés dans ces circonstances. Un versant ouest ou nord laisse plus de temps au skieur avant de se réchauffer par incidence solaire...
90% des accidents d'avalanches sont imputables aux avalanches de plaques
Si ces deux facteurs sont indéniablement à prendre en compte, Olivier Mansiot ne manque de nous mettre en garde : « ce ne sont pas les causes principales de déclenchement. Ces deux facteurs cumulés ne représentent que 10% des accidents liés aux avalanches... » Non, selon Olivier Mansiot, le nerf de la guerre, ce sont les avalanches de plaques.
Un premier grand responsable du phénomène : le vent. Historiquement, le premier facteur identifié pour la constitution de plaque est le vent, on a d’ailleurs longtemps parlé de « plaque à vent ». C’est un facteur aggravant significatif (le vent déplace de la neige et engendre des accumulations de neige). Une couche de neige ventée a de bonnes chances de présenter des propriétés favorables à la propagation de fissures dans le manteau neigeux, conduisant à la rupture d’une plaque. Après un épisode de grand vent, le danger sur terrain enneigé est considérablement accru.
Mais au fil des recherches, il apparait que la première cause d’avalanche de plaque est la présence d’une couche fragile dans le manteau neigeux. Plus dur à observer me direz-vous ? Pas forcément. En creusant un peu le manteau, une couche fragile peut se déceler à l’œil nu. Aussi, on comprend bien maintenant les conditions qui induisent la formation d'une couche fragile : une période de froid, pas forcément très intense mais avec peu de neige, conduisant la partie supérieure du manteau neigeux à subir une métamorphose de moyen ou fort gradient. Les grains de neige se transforment ainsi en grains plus anguleux, conduisant aux grains à face plane et parfois même aux gobelets, constituants par excellence d’une couche fragile sans grande cohésion.
Comment bien évaluer les risques ?
Si faire vous même une coupe du manteaux neigeux ne vous inspire pas, encore une fois, de l'information existe. Compilée et analysée par des spécialistes. Alors si la tentation est grande de s'improviser expert après 4 sorties et un documentaire sur TV8 Mont-Blanc, ne surestimez pas vos compétences. Vous ne tenteriez pas vous même une opération de l'appendicite après avoir visionné une saison de Dr House, non ? Il en va de même de l'analyse du risque d'avalanche. Et des conséquences si vous vous trompez. « C'est un métier ma petite dame... ».
Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas s'informer. Et gagner en autonomie en montagne. Le bulletin de Météo France fournit de bonnes indications. Mais aussi pertinent soit-il, il ne fera que signaler la présence de différents phénomènes massif par massif. Une fois en montagne, l'objectif est alors de constater si les conditions décrites dans le bulletin d'information se retrouvent sur le terrain.
Si malgré votre vigilance dans le choix de la course, vous identifiez certains facteurs de risque sur le terrain, il faut repenser le déroulement de la sortie. Selon le niveau de risque évalué, on prendra plus de mesures de sécurité, on appliquera plus d'espacement entre les pratiquants dans la progression, on fera le choix d'un itinéraire bis ou de repli, voire on annulera tout simplement la sortie.
La base ? On prépare sa course et on vérifie les prévisions sur le terrain. Et on se laisse la possibilité de faire évoluer les objectifs du jour en temps réel.
« Par chaque niveau de risque, on peut trouver des itinéraire très sûrs... »
« … même s'il faudra parfois sérieusement revoir ses ambitions à la baisse. » Cette affirmation d'Olivier Mansiot est à replacer dans son contexte. Conversant sur les différents dangers que nous venons d'évoquer, la tentation devient grande de ranger définitivement ses peaux de phoque dans le grenier et de retrouver la bonne vieille piste bleue des familles.
Mais le conseiller technique national y tient : il ne faut pas tomber dans une autre extrême, celle de la psychose. Alors à la question, « mais finalement nous mettons-nous systématiquement en position de nous faire faucher par une avalanche en sortie sur terrain enneigé ? », Olivier Mansiot relativise : « le risque est souvent modéré. Il est même parfois à 0. Le problème ? Beaucoup de pratiquants font le choix – pour parfois maximiser les sensations – d'aller là où il y a une incertitude. »
On l'a dit, la quête du mètre de neige fraiche est tentante. Mais c'est un jeu dangereux. Autre comportement à bannir absolument, celui de cumuler les risques. Car ces facteurs parfois se superposent et décuplent la dangerosité de la sortie. Le choix d'un terrain accidenté là où le risque d'avalanche existe par exemple.
Une situation ? On peut accepter de risquer de déclencher une petite coulée dans certaines conditions. Si les conséquences sont simplement de se faire chahuter sur quelques mètres : rien de bien grave. L'important est de toujours essayer de comprendre quelle ampleur et quelles conséquences peuvent avoir une avalanche. Une couche de neige de 20 cm d’épaisseur, sur 50 mètres de long et 10 mètres de large n’aura sans doute pas de conséquence si la masse s’étale en douceur sur une surface plane. Mais si elle vous entraine à sauter une barre rocheuse ou si cette masse neigeuse se trouve canalisée et amassée en un seul endroit comme dans un couloir par exemple – le volume de cette plaque serait de 100 m3 soit 15 à 20 tonnes – la fin ne sera peut-être pas aussi heureuse.
Comment interpréter l'indicateur du risque d'avalanche ?
Mais si vous savez, les drapeaux à damier jaunes et noirs ? Ok, ça vous revient. Et bien cet indicateur sur une échelle de risque de 1 à 5 – comme toute information chiffrée – n'a pas de valeur intrinsèque : il doit être interprété dans son contexte. Selon l'exposition et les conditions locales notamment.
Une majorité des accidents surviennent par risque 3. Et non lorsqu'il est en réalité le plus marqué – risques 4 et 5. Étrange ? Pas vraiment : le niveau de risque lorsqu'il est estimé à 4 et 5 dissuade les pratiquants. Ils sont peu nombreux – à raison – à oser s'aventurer sur les pentes dans ces conditions.
Mais que conclure d'un niveau de risque estimé à 3 ? Peut-on sortir oui ou non ? Et bien vous n'aurez pas de réponse, car la question ne doit pas être posée en ces termes : à risque 3, comme dans les autres conditions, il faut interpréter les conditions directement dans le contexte de la sortie que vous visez. Risque 3 signifie que le risque d'avalanche est marqué, « dans de nombreuses pentes suffisamment raides, le manteau neigeux n'est que modérément à faiblement stabilisé ». Et non que vous n'avez que « modérément de chance » de déclencher une avalanche.
« Une avalanche ne devrait jamais faire plus qu'une victime »
Autre point important : bien évaluer ses distances de sécurité. De manière générale, il faudrait avoir l’habitude de progresser avec une distance de sécurité entre chaque participant. Et quand on soupçonne un risque accru, cette distance doit être considérablement augmentée pour n’exposer qu’une personne à la fois. Il est souvent difficile de prédire le déclenchement d’une avalanche avec certitude, mais de par notre comportement, nous pourrions réduire le nombre de victimes en passant un par un dans les pentes à risque. Sans oublier le fait qu'il est plus facile de dégager une victime rapidement grâce aux efforts coordonnés de tous les autres participants à la sortie, que de devoir rechercher plusieurs victimes ensevelies.
On a beaucoup parlé des signaux d'alarme, peut-on finir avec un signe d'encouragement ? « Olivier, quid de la pente déjà bien tracée ? Doit-on y voir la promesse d'une progression sans danger ? ».
« Les passages multiples sur une pente stabilisent le manteau neigeux, c'est indéniable. Mais ce n'est absolument pas une garantie d'absence de risque : cela veut uniquement dire que vos prédécesseurs sont passés sans déclencher d’avalanche ! Mais peut-être ont-ils fragilisé le manteau, peut être aussi les conditions ont-elles évoluées depuis… » Le conseiller technique national d'expliquer que dans certains cas, les passages répétés brisent petit à petit les ancrages fragiles d'une plaque, laissant un énième skieur « appuyé sur le détonateur » de l'avalanche.
Quant à savoir si cela doit influencer la prise de décision ? « C'est rassurant, c'est sûr. Mais ça ne doit pas être un facteur pris en compte pour donner le « go ». C'est en sortant équipé et en ayant rayé sur sa check-list tous les facteurs de risque que l'on vient d'évoquer que l'on s'engage en limitant les risques au maximum. Pas autrement. » A bon entendeur...