En préambule de ce dossier s’est posée la question de la définition de l’ouverture. Le petit coup d’œil sceptique dans le petit Larousse, histoire de s’assurer que nous ne passerons pas à côté d’une version spéciale grimpeur, laisse néanmoins un sentiment de contentement… Oui, certaines définitions du Larousse amènent en effet à quelques pistes de réflexions intéressantes.
Ainsi, pour « Ouvrir », on trouve « Fait de créer un passage ou le libérer, et le rendre praticable pour permettre la circulation », ou encore « Faire fonctionner quelque chose, le mettre en état de marche », et même « Créer, fonder un lieu, le faire fonctionner… » ou enfin « Donner à quelqu'un l'accès à quelque chose, lui rendre un domaine accessible ».
Sans mauvais jeux de mots, voilà qui nous ouvre de nombreuses perspectives, relativement proches de notre définition de l’ouverture en escalade.
Si la définition de création d’un itinéraire semble parfaitement adaptée, il convient pourtant, pour les structures artificielles d’escalade (SAE), de développer un peu plus le sujet. Pour cela, Jacky Godoffe, cadre technique et ouvreur international actif depuis 25 ans, semble bien être un des mieux placés pour approfondir la réflexion. Interview.
Quelle serait votre définition de l’ouverture ?
Jacky Godoffe : Contrairement à la majorité des sports qui ont des terrains de jeux fixes, ce n’est pas le cas en escalade, et c’est ce qui fait la richesse de notre sport, à condition que l’ouverture soit suffisamment variée ! Charge à l’ouvreur de créer ce terrain de jeux, , de le rendre à chaque fois accessible, attractif, attrayant et multiple ! Bref, sur SAE, c’est l’ouvreur qui définit en quelque sorte le terrain de jeux, c’est unique à notre sport. Il le crée en fonction des moyens dont il dispose (structure déjà en place, volumes, prises, etc.), pour que tous puissent pratiquer l’activité. L’ouverture, c’est l’essence première de l’escalade sur SAE, dans le sens où, sans terrain de jeux, il n’y a pas d’escalade !
Quand avez-vous commencé à ouvrir ?
JG : Début 90, lorsque j’ai mis fin à ma carrière d’athlète de haut niveau, j’ai passé mon professorat de sport, et intégré l’équipe des cadres de la fédération. Comme il n’y avait encore rien en place au niveau national, j’ai suivi un stage très informel d’ouvreur international, et ouvert dans la foulée un championnat de France. Mais ce ne fut pas une bonne expérience. Ce que j’avais ouvert n’a pas vraiment marché : c’était trop dur, trop spécifique… Car je n’avais pas encore compris ce qu’était l’ouverture, je faisais juste une transposition de mes acquis et de mes qualités de grimpeur.
Et depuis, que de chemin parcouru…
JG : Oui, d’ailleurs, au lieu de me décourager, cette mauvaise expérience m’a interpellé : Pourquoi avec mon niveau en escalade, n’avais-je pas réussi ce défi de l’ouverture ?
Il me semblait que le fait d’être un bon grimpeur me donnait logiquement les clés de l’ouverture. Ce fut donc une vraie remise en question. Qu’est-ce qui n’avait pas marché ? Pourquoi ? Comment cela pouvait fonctionner? De fil en aiguille, j’ai remonté le processus de l’ouverture, et je me suis construit en tant qu’ouvreur, au fil des ans et des expériences… Cela fait presque vingt-cinq ans !
Quel est le secret d’un bon ouvreur ?
JG : S’il y a bien une chose qui est certaine, c’est qu’au-delà de tous les diplômes, ce qui fait un bon ouvreur, c’est la pratique… Ainsi, la première règle à comprendre, c’est que pour ouvrir bien, il faut ouvrir beaucoup, et ce quel que soit le niveau technique auquel on ouvre. Il faut pratiquer et pratiquer encore. Créer, dessiner, inventer, renouveler le terrain de jeux et le mettre à la portée des gens qui vont venir grimper.
Qui peut être ouvreur ?
JG : Le niveau d’escalade ne suffit pas à être un bon ouvreur, et inversement, des personnes qui ne sont pas très fortes peuvent en revanche s’avérer être de très bons ouvreurs, tout comme des gens très forts peuvent être de très mauvais ouvreurs. L’essentiel est de comprendre comment ça fonctionne, car je suis bien certain que l’ouverture ne peut pas s’improviser. N’importe qui ne peut pas être ouvreur de manière innée. En revanche, quiconque a intégré le processus d’ouverture, et parvient à le mettre en place, peut ouvrir à des échelons différents.
Quel est ce processus d’ouverture ?
JG : Il repose sur trois questions. La première est de savoir « pour qui on ouvre, et qu’est-ce que ce public attend de l’ouverture ? ». Car les grimpeurs sont le premier maillon, que ce soit un club, ou les meilleurs athlètes au monde. L’ouvreur doit adapter son ouverture au public à qui il va proposer son travail. La deuxième question c’est « où on ouvre ? », sur quel support, et avec quels moyens ? Enfin, la troisième, c’est « avec qui ? » car en général on n’ouvre pas tout seul, mais en équipe. Et chaque équipe a une influence sur l’ouverture qui va en découler. Dès qu’on a décliné ces éléments-là, on peut s’y mettre.
Une fois ce processus acquis, on peut parler de bonne ouverture ?
JG : Je pense que rien n’est jamais vraiment acquis… Le fil conducteur, c’est l’expérience. Je me répète, mais pour bien ouvrir, il faut ouvrir, ouvrir et ouvrir encore, et surtout il ne faut pas oublier le feedback ! Mon ouverture est-elle parfaitement adaptée ? C’est rarement le cas, car ce n’est pas une science exacte, mais un processus qui reste humain. A chaque ouverture, on apprend de ses erreurs, on peaufine, on s’améliore. Mais notre terrain de jeux est sans cesse différent, il y a toujours une marge possible d’erreur. Cela fait bientôt 25 ans que j’y travaille, et je ne suis pas infaillible. En revanche, je suis passionné, et ça aussi, c’est une des clés de l’ouverture.
Ne ressentez-vous pas une certaine lassitude, à force d’ouvrir ?
JG : Non, bien au contraire, j’ai l’impression que cette passion m’anime de plus en plus. L’escalade sportive ne cesse d’évoluer, tout comme nos supports de travail ! Et puis, J’ai beau ouvrir depuis toutes ces années ans, je sais que je peux encore me tromper. Ainsi, je continue à apprendre, j’essaie d’introduire de nouvelles dimensions dans l’ouverture. Le job de l’ouvreur, c’est bien de faire varier ce terrain de jeux à l’infini pour le rendre des plus intéressants. A une époque, on était fort si on passait tous les mouvements en statique… Aujourd’hui, on invente des doubles jetés, des runs and jumps, etc. Il faut rester à l’écoute, et suivre son feeling.
Peut-on comparer un ouvreur à un artiste ?
JG : Non, je ne pense pas. Si l’ouverture est bien un processus créatif, ce n’est pas travail d’artiste, dans le sens où on ouvre pour quelqu’un, à un endroit, avec un matériel donné. Une ouverture doit être quelque chose d’utile, et l’ouvreur est au service d’une tâche à accomplir. Si le terrain de jeux est beau et attractif c’est un plus, car ça donnera davantage envie aux gens d’y aller, mais avant tout, il faut que ce soit fonctionnel. Faire quelque chose de joli, c’est un peu comme une cerise sur le gâteau, mais ce n’est pas du tout indispensable, l’essentiel c’est une ouverture adaptée !