Rencontre avec Romain Cabessut, formateur et ouvreur international
Romain Cabessut est ouvreur international depuis quatre ans, un des plus jeunes du circuit, ce qui n’enlève en rien les compétences extrêmement pointues du jeune homme. Passionné et pédagogue, Romain a déjà encadré, à plusieurs reprises, des stages d’ouvreurs régionaux (niveau 1), et même des stages d’ouvreurs continentaux (en Nouvelle-Calédonie et en Chine). Aujourd’hui, à 33 ans, Romain est donc un des rares ouvreurs qui vit à 100% de sa passion. Il nous livre les premières clés de l’ouverture, pour que chacun puisse commencer, chez lui, à (ré)inventer l’escalade. Rencontre.
Comment vous est venue cette passion pour l’ouverture ?
Romain Cabessut : Je pense qu’elle m’habite depuis que j’ai débuté l’escalade. J’ai commencé à ouvrir quasiment en même temps que j’ai commencé à grimper. Ça m’a tout de suite plu ! A 15 ans, je m’y suis vraiment mis.
Qu’est-ce qui vous plait dans l’ouverture ?
RC : Ce qui me plait, c’est le côté créatif, de repartir à chaque fois avec un mur vierge, comme une page blanche, pour essayer de créer un scénario. Je prends l’ouverture comme un jeu, et je conseille souvent aux personnes qui souhaitent s’y mettre d’en faire autant ! Un jeu très libre, qui s’affine avec des contraintes de niveau et de plaisir des grimpeurs, puis de temps, de résultats et de spectacle au fur et à mesure que l’on gravit les échelons d’ouvreurs. Mon plaisir, c’est de combiner tous ces facteurs, pour rendre l’escalade vraiment sympa, pour tout le monde.
Quelles sont vos sources d’inspiration quand vous ouvrez ?
RC : C’est avant tout le matériel dont je dispose qui sera à la base d’une voie. On ouvre en fonction du profil du mur ou des blocs, des variétés de prises et de volumes, leur qualité, leur forme et leur couleur. Plus on a de choix pour proposer quelque chose de sympa, et plus vite vient l’inspiration, en général… Et puis des fois, on a aussi des mouvements en tête, des sections de grimpe qu’on a déjà imaginé en amont et qu’on essaye de mettre en place sur le mur. D’autres fois, on part du sol, en vissant des prises au fur et à mesure, et les idées viennent et s’assemblent.
Et puis parfois, c’est la page blanche, comme un écrivain… ça ne vient pas, ou alors, ça ne fonctionne pas du tout, alors on démonte tout, on passe à autre chose, et puis on reprend, plus tard ! C’est aussi ce côté éphémère, non figé, qui me plait.
L’ouverture, c’est aussi un travail d’équipe, comment travaille-t-on à plusieurs ?
RC : En écoutant et observant ! C’est une dimension qui rend l’ouverture encore plus sympa. Car chacun donne son avis, essaye les passages des autres, etc. C’est vraiment très riche en termes de partage d’idées, de créations et de diversité.
Au cours des formations d’ouvreur fédéral, enseigne-t-on les b.a.-ba de l’ouverture ?
RC : Justement non, c’est souvent ce que demandent de jeunes ouvreurs en début de formation. J’explique alors qu’on n’est pas là pour « apprendre » à ouvrir, car je pense sincèrement que l’ouverture ne s’apprend pas. Donner un processus trop strict ferme le côté exploration, créativité. On est tous différents, et chacun doit pouvoir poser sa signature, faire valoir son style, c’est ce qui est chouette.
Qu’apprend-t-on sur un stage d’ouvreur ?
RC : Outre les aspects législatifs et de sécurité, je suis formateur pour apporter des réflexions, et des façons de procéder pour rendre l’ouverture plus rapide et plus riche. Mais en aucun cas, en formation, on va apprendre que cette main gauche va ici et la main droite là… L’ouverture n’est pas une science exacte, et à mon sens, tenter de la stéréotyper risquerait d’être en quelque sorte une limite à la créativité de chacun, et donc à l’escalade.
Alors que donnez-vous comme conseils aux débutants ?
RC : Je conseille de prendre ça comme un jeu, d’avoir envie de proposer quelque chose de sympa et d’attractif, donc de sortir du « cliché » de l’échelle à bac, même pour les voies très faciles. A l’inverse, j’encourage les jeunes ouvreurs à essayer de proposer des mouvements originaux, d’oser. Et très vite, on sent bien que c’est cette richesse qui est la plus intéressante, surtout pour les jeunes grimpeurs qui ont besoin de prendre de l’expérience technique et d’enrichir leur bagage gestuel.
Créer et être original, sont à la base de l’ouverture ?
RC : Oui, laisser parler le côté créatif de chaque ouvreur, se faire plaisir et oser. A chacun de prendre des prises et de les visser, puis de voir si ça marche, si ça plait aux autres grimpeurs qui essayent, et si le cahier des charges a été respecté (contraintes de style, de niveau de difficulté, de morphologie pour les catégories, de temps, de spectacle…). Sinon, on voit comment on peut l’améliorer, le retravailler. La remise en question fait partie du job.
Quelles mises en garde avant de se lancer ?
RC : Veillez à respecter la sécurité avant tout, et puis, ne pas oublier qu’ouvreur, c’est avant tout un boulot manuel. Parfois, les gens s’imaginent qu’on ne fait que grimper, mais au contraire on est plus souvent sur l’échelle, dans la nacelle ou pendus à nos cordes pour visser, dévisser, revisser… Ce qui implique d’être agile et à l’aise avec ses mains car c’est quand même du bricolage. Parfois, de très bons grimpeurs n’ont pas ce côté manuel, et il leur est difficile d’inventer des blocs ou des voies en peu de temps.
Un conseil pour motiver des jeunes ouvreurs à persévérer ?
RC : L’ouverture nécessite d’y passer du temps, et de multiplier les expériences. Et même au bout de plusieurs années d’ouverture, on ne peut jamais prédire ce qui va se passer sur les blocs ou les voies. C’est pourtant bien ce qui rend le jeu sympa, et stressant aussi : on a toujours envie que ça fonctionne comme on l’avait prévu, et quand tout se passe bien, c’est très gratifiant, et puis des fois, ça marche moins bien, on n'a pas réussi à identifier précisément le niveau des grimpeurs, et là c’est beaucoup plus frustrant et pour nous, et pour les compétiteurs, et pour le public. Mais ça fait partie du métier, il faut toujours savoir tirer les leçons de ce qu’on a fait, et s’en servir pour toujours faire mieux. Car l’escalade est un sport très riche, une activité que l’on peut faire varier. Alors, continuons d’explorer la gestuelle et d’inventer notre discipline. Les ouvreurs ont cette magie entre les mains, de pouvoir faire évoluer l’escalade, à l’infini. Alors, plus il y aura de jeunes qui prendront des clés et des visseuses en main pour faire évoluer leur mur, et plus on s’amusera en escalade !