Le déterminisme des genres vous en avez déjà entendu parler ? Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi nombre de grimpeuses ressentent cette même étrange sensation - « s'il y a un homme dans la cordée, c'est vrai que je vais avoir tendance à passer en seconde » ?
Dans le genre analyse de comptoir, viens d'abord le raccourci inadmissible : « c'est comme ça, c'est dans les gènes. Les hommes sont plus téméraires que les femmes. » Sinon, on peut aller chercher du côté de la sociologie des genres. Et on peut essayer de trouver une réponse qui ne soit pas du pur sexisme.
En sociologie, cette attitude - « laisser les hommes passer en premier » - est une résultante de ce que l'on appelle la socialisation différenciée. En d'autres termes, la sociologie nous explique que durant notre apprentissage de la vie en société, depuis notre plus tendre enfance, on attend de nous certains comportements. Que l'on soit un petit garçon ou une petite fille.
On attendra plus du premier qu'il soit dans l'action, on récompensera la prise de risques. Alors qu'on induira à une jeune fille de se comporter avec réserve, calme et prudence. Ce sont des codes que l'enfant va intérioriser et dont il va reproduire toute sa vie le modèle. Mesdames, pourquoi certaines d'entre-vous hésitent parfois à grimper en tête dans une cordée mixte ? Peut-être parce que toute votre vie on vous l'a prescrit. En tout cas, c'est ce que nous apprend la sociologie.
« Malheureusement, dans une cordée mixte, c'est effectivement souvent le garçon qui va passer en tête. Proposer une équipe 100% féminine permettait aux femmes de s'exprimer à part entière en montagne. On avait déjà vu ça au niveau régional, il existait au comité FFME Rhône-Alpes une sélection féminine que j'encadrais. Et ça marchait très bien », raconte le conseiller technique national alpinisme et guide de haute montagne Gaël Bouquet des Chaux.
« L'ENAF m'a permis de franchir un cap »
Fleur Fouque est guide de haute montagne à Chamonix. Elle a fait partie de la première promotion de l'équipe nationale d'alpinisme féminine. « Ce que je retiens de mon expérience avec l'ENAF ? Elle m'a permis de franchir un gros cap dans ma pratique de la montagne. Elle m'a révélé que je pouvais envisager la montagne pour moi, à ma manière. Que je ne devais pas forcément m'en référer à quelqu'un pour la pratiquer. Elle a tout bonnement enclenché une nouvelle façon d'envisager l'alpinisme. » Fleur n'a pourtant pas grand-chose d'une militante féministe. Les cordées mixtes ? « Aucun souci, ce n'est pas forcément important de se questionner sur le genre. » Son expérience au sein de l'ENAF a tout de même été un déclencheur dans sa manière d'envisager la montagne. En parfaite autonomie.
Cécile Villemus est à l'origine de la création de l'ENAF, avec Gaël Bouquet des Chaux qui en est à la tête aujourd'hui. « Lorsque je me suis mise sérieusement à « faire de la montagne ». Puis lorsque j'ai intégré le comité alpinisme de la FFME, je me suis vite rendu compte qu'il y avait plein de filles comme moi. Volontaires, compétentes et qui refusaient d'être des suiveuses. Je me suis dit qu'il était temps que l'on ait notre place nous aussi, à part entière. »
Macho le milieu de l'alpinisme ? « Tu connais beaucoup d'alpinistes femmes célèbres ? Moi je connais que Catherine Destivelle. » Et cette dernière vous racontera volontiers qu'il n'était pas toujours évident d'être considérée de la même manière que ses homologues masculins.
« Il y a encore 10 ans, une femme dans une cordée, ce n'était pas une évidence. Il fallait faire ses preuves, montrer qu'on était capable avant d'être acceptée », poursuit Cécile Villemus. Alors la montagnarde a cette idée folle de proposer au comité alpinisme de la FFME l'équivalent de l'équipe nationale d'alpinisme, au féminin. Ce n'était pas encore une évidence que les femmes aient leur place dans le milieu en 2005 ? « Tu plaisantes, c'était complètement novateur ! »
Pour autant, la jeune femme ne s'est pas heurtée à un mur. « J'ai tout de suite été prise au sérieux. Pierre You - président de la FFME - et Pierre-Henri Paillasson - directeur technique national de la FFME - n'ont pas eu à réfléchir très longtemps pour accepter ma proposition. Car s'il y a bien eu des femmes dans les sélections alpinisme de la FFME (deux depuis la création de la sélection en 1988, ndlr), jamais 8 femmes n'auraient pu intégrer en même temps une promotion mixte. »
Un fonctionnement calqué sur celui de l'équipe masculine
Cécile Villemus proposait la création de l'ENAF en 2005. Un petit coup de pouce du Ministère de la jeunesse et des sports a terminé d'enclencher le processus, et un an plus tard, à Chamonix, un comité de sélection recevait les 20 premières candidatures afin d’accéder à la première équipe nationale d'alpinisme féminine de la FFME.
Les conditions ? Avoir entre 18 et 30 ans et justifier d'une certaine expérience en montagne. Et réussir les tests de sélection ! « Une épreuve d'escalade en chaussons et en chaussures de montagne, ainsi qu'une épreuve de glace ou de dry tooling selon les conditions et un test cardio », explique Gaël Bouquet des Chaux. Avec pour les 8 filles sélectionnées, un niveau d'escalade souvent proche du 7e degré.
La suite ? Elle est calquée sur le fonctionnement des hommes : sur trois années au sein de l'équipe, deux sont dédiées aux stages et la troisième à la préparation et à la réalisation d'une expédition dans un massif lointain. La première promotion ? Elle partira en Himalaya, au Pakistan. La deuxième (2008/09) au Népal et la troisième (2013/15) explorait le fjord de l'Éternité au Groenland.
En 2016, six nouvelles filles ont rejoint la nouvelle promotion de l'ENAF. Avec très vite pour ces jeunes femmes, un stage dans le Verdon et un voyage de trois semaines aux Etats-Unis, pour aller s'essayer aux fissures. Et la prochaine grande expédition de l'ENAF ? « Nous y travaillons », conclut, énigmatique, le responsable de l'équipe.