Sylvain, en tant que grand acteur du développement de la discipline en France, as-tu noté une évolution dans la pratique de la vitesse ?
Oui, c'est évident. En 2010, lors de la création de l'équipe de France de vitesse, on nous prenait – passez-moi l'expression – un peu pour des guignols. La vitesse est aujourd'hui beaucoup moins dénigrée. Les clubs prennent conscience de l'intérêt de la discipline en tant que telle, ainsi que des bénéfices pour des adeptes de la difficulté et du bloc.
A quoi doit-on cette évolution ? Quels sont les leviers de développement de la vitesse ?
Je pense tout de suite au Trophée national poussin-benjamin. En intégrant la vitesse dans cette compétition dédiée aux plus jeunes, on installe cette pratique très tôt et elle fait ensuite partie de leurs habitudes de grimpeurs. Cela sensibilise les clubs, et petit à petit la discipline s'installe dans les structures FFME.
Les leviers de développement ? Principalement la formation. Si les DE escalade intègrent aujourd'hui la vitesse dans leur programme, on pourrait par exemple penser à une formation complémentaire pour les anciens diplômés, qui n'ont jamais été sensibilisés.
L'évolution de la compétition pourrait avoir un vrai impact également, avec notamment une plus large place donnée au combiné. Ainsi que l'organisation de Championnats d'escalade de vitesse à tous les échelons du circuit de compétition. Enfin, je pense que la présence en France de champions telle qu'Esther Bruckner en son temps, et Anouck Jaubert et Bassa Mawem aujourd'hui, a un vrai impact. Ils font partie des meilleurs mondiaux et sont pourtant très accessibles. Il n'y a qu'à voir comment ils épaulent les nouveaux jeunes sur le Pôle France de Voiron.
Quels sont - a contrario - les freins ?
Il faut rester lucide : l'escalade de vitesse n'aura jamais l'ampleur de la difficulté ou du bloc. Tout simplement parce que c'est une discipline qui ne se pratique qu'en compétition. On ne fait pas – comme pour les deux autres pratiques – de la vitesse en loisir.
Pour le reste, il n'y a pas vraiment de frein, la vitesse est très facile à intégrer dans le quotidien d'un club.
« Pour les structures qui n'ont pas accès à la voie du record, je suis à leur disposition pour leur permettre d'utiliser celle du Pôle France de Voiron »
Mais ne faut-il pas une infrastructure dédiée ? Au moins des voies ouvertes spécialement ?
L'absence d'outil ne peut pas être une excuse : tous les clubs peuvent pratiquer la vitesse. Tant qu'on ne parle pas de haut niveau, c'est la discipline qui demande finalement le moins de matériel. Il n'y a même pas forcément besoin d'ouvrir une voie particulière, il suffit d'identifier sur un mur une séquence qui permet d'aller vite.
Ensuite pour passer un cap, il peut être intéressant d'avoir un tracé dédié. Et là encore, tous les ouvreurs en sont capables : un bon ouvreur doit être capable de travailler en fonction d'une problématique identifiée. Si l'objectif est d'aller vite, il doit savoir composer une voie qui le permet. En évitant les inversées, en privilégiant les grosses prises de pied...
Pour ceux qui veulent performer en revanche, avoir la voie du record à disposition est important, même si la vitesse ne se limite pas à cela. Pour les structures qui ne l'ont pas, je suis à leur écoute pour mettre à disposition l'outil de Voiron. J'accueille déjà tous les mercredi après-midi quelques jeunes de la région qui souhaitent progresser. Pour ceux qui sont plus loin, qu'ils n'hésitent pas à me contacter : on peut organiser des stages à Voiron, sans que cela soit trop compliqué.
Quelles formes peut prendre une séance de vitesse au sein d'un club qui s'y met ?
Il y a un million de possibilités (rires). Au-delà d'une séance dédiée pour les compétiteurs, la vitesse peut tout à fait être intégrée dans un entraînement quotidien. Un atelier dans une séance où l'on va par exemple apprendre quelques passages de la voie du record. Ou des exercices mobilisant les techniques de la vitesse avec pour finalité la préparation physique générale du grimpeur.
Justement, question un peu provocatrice : pourquoi pratiquer la vitesse aujourd'hui ?
Parce que c'est une des trois disciplines de l'escalade et que pour être un grimpeur complet, il est aussi intéressant de développer ces qualités. Au-delà de la pratique en elle-même, la vitesse permet à des grimpeurs de difficulté et de bloc de progresser dans leurs disciplines respectives grâce à la vitesse. C'est par exemple le choix qu'a fait Mathilde Becerra cette saison et à voir son résultat aux Championnats de France de difficulté, cela a payé.
La vitesse mobilise des qualités physiques et techniques particulières. Elle demande une précision extrême qui sert dans toutes les disciplines : on y découvre un niveau d'exigence supplémentaire qu'il est bon d'intégrer. Et pour les clubs, la vitesse nécessite des qualités physiques spécifiques qui vont correspondre à certaines morphologies. Des jeunes qui n'auraient pas forcément accroché avec la diff' ou le bloc, vont continuer de pratiquer car la vitesse leur convient plus particulièrement.